lundi 19 juillet 2010

Ariane et la musique

Toc toc toc.

Je lève le nez de mon cahier et j'attends. Ariane n'a pas l'habitude de frapper à ma porte avant d'entrer.

Timidement, elle ouvre et passe la tête par l'ouverture.

— Hey, fait-elle.

Quelque chose ne va pas. Quelque chose, dans son visage, est fripé. Humide. Lourd.

— Hey.

Elle fait glisser sa main le long du cadre.

— Je te dérange?

La voix se veut enjouée, innocente. Mais j'y décèle une pointe de tristesse. Un dérapage dans le timbre.

Je jette un oeil sur mes cahiers et mes livres éparpillés sur mon lit.

— À vrai dire, j'ai ce devoir de math à rendre demain.

— Oh...

Les yeux fixent le sol un moment. Malaise.

— Mais... je peux faire quelque chose pour toi?

Elle secoue vivement la tête, replace une mèche, tente un sourire.

— Non, je ne veux pas t'embêter. Tu es occupé et je m'ennuyais, c'est tout.

J'hoche la tête. Mais elle reste là. Je soulève une pile de feuilles, lui fais une place sur le lit. Elle contemple l'espace vide un moment, puis vient s'asseoir.

— Qu'y a-t-il, Ariane?

Elle me regarde. Hausse les épaules. Prend une feuille de papier couverte de formules. Des formules qui, une fois toutes alignées dans ma tête, forment la phrase «à remettre demain, urgent....»

— Ça t'arrive parfois de...

Ariane ne termine pas sa phrase.

De...? De ne plus très bien savoir? D'avoir un peu peur. De te sentir plutôt vide. De trop désirer. De ne plus vraiment avoir le goût. Qu'est-ce qui torture ton coeur aujourd'hui, Ariane?

— Oui, dis-je doucement. Ça, ça m'arrive tout le temps.

Un autre sourire triste.

— Et comment tu fais pour... pour ne plus te sentir comme ça? me demande-t-elle.

Je regarde par-dessus son épaule.

Je t'imagine dans mes bras? que j'ai envie de lui répondre.

— J'ai un truc, admets-je.

Elle lève les yeux, m'écoute.

— J'écoute de la musique. Très fort. Je lève le volume jusqu'à...

J'hésite.

— Jusqu'à ce que ça fasse moins mal.

Elle me regarde. Hoche la tête lentement. Répète après moi.

— Jusqu'à ce que ça fasse moins mal...

Elle se lève. Subitement. Geste un peu artificiel.

— Merci du conseil. Je ne te dérangerai pas plus longtemps.

Et Ariane quitte ma chambre. J'entends ses pas dans le corridor. Je reste immobile un moment. Aurais-je dû dire quelque chose de plus? Quelque chose de mieux?

Les vibrations de la basse résonnent à travers le mur qui sépare nos chambres. Puis une mélodie, rose, enjouée, retentit dans l'appartement.

«Oh Mickey you're so fine! You're so fine you blow my mind. Oh Mickey!»

La musique cesse aussi brutalement qu'elle a démarré.

À nouveau, j'entends des pas dans le corridor.

Ariane se tient dans le cadre de ma porte.

— Dis, je peux t'emprunter un cd?

Je lui dis que oui, me retenant d'éclater de rire.

Elle fouille un peu. En saisit un et se retourne.

— Hey, Ariane, que je lui lance. Et si tu l'écoutais ici mon cd?

Elle fait mine de dire non. Se ravise. Insère le cd dans la chaîne stéréo et vient s'installer à mes côtés, à même mes cahiers éparpillés et ferme les yeux.

Et tous les deux, nous attendons tranquillement que ça fasse moins mal.

2 commentaires:

  1. Lire ce texte vient surement de me couter plusieurs euros (je suis entre Helsinki et St-Pertersbourg, sur le bateau) mais ca valait chacun d'eux. J'adore ton ecriture. (desolee, y'a pas d'accent sur le clavier).
    A+

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  2. Avoir su qu'il fallait payer pour lire ce texte, j'y aurais mis plus d'action!

    La prochaine fois, je rajoute un dinosaure quelque part. Ou une pieuvre (brrrrrrr....).

    Mais, sinon, merci beaucoup Karuna pour ce bon commentaire :)

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