jeudi 26 mai 2011

Tiède et un brin diffus - Making-Of

Observons-le. Assis sur les marches de son entrée, il surveille en frissonnant le petit chien qui zigzague entre les touffes d'herbes jaunies. Les bras solidement noués ensembles, Pat regrette sans doute de ne pas avoir enfilé quelque chose de plus chaud que sa vieille veste usée. Approchons-nous. Lévitons au niveau de son regard, tout juste devant son visage un peu blême. Ne soyons pas timides. Il ne peut ni nous voir ni percevoir notre présence. L'auteur, vraiment, ne peut nous différencier des quelques moustiques survivants qui tournoient mollement autour de sa tête. Pire encore, nous sommes, à vrai dire, indissociables du vide qui entoure les atomes qui se perdent sous ses yeux.

Le Patrice que nous observons en ce moment traîne avec Cabot en cette froide soirée d'octobre. De son propre aveu, il piétine sur son tout nouveau projet. Il bûche sur les premières pages de Tharisia 2. Il commence tout juste à réaliser qu'il s'est entêté dans une direction qui ne convient pas à son indomptable Annika Aralia. Nous pourrions, je vous l'assure, pénétrer la paroi osseuse de son crâne à cet instant et savourer la tempête neurologique qui y sévit, mais nous n'y découvririons rien de plus détaillé. Non, l'étincelle que nous recherchons se trouve ailleurs...

Voyons. Le ciel est mauve, mais son oeil traîne sur le chien qui broute (elle sera encore malade dans la demi-heure). Son oreille, elle, s'accroche aux accords qui lui parviennent depuis la fenêtre entrouverte au-dessus de lui. Il écoute en boucle les deux mêmes morceaux. Observons. Son regard change. La musique, étouffée par la distance et par les murs de la maison, prend une forme différente. Des notes sont biffées, transformées. La mélodie se déforme.

Je nous sens peu convaincus par la nature de cette étincelle. Peut-être notre perception se trouve-t-elle trompée par le regard dans lequel nous nous incarnons. C'est une possibilité et nous l'admettons humblement. N'empêche que le résultat reste le même: notre auteur se lève précipitamment, rappelle Cabot et retourne se lover contre son clavier. Une idée s'est logée dans son cerveau.

Il s'assoit devant l'écran avec en tête l'idée d'une gamine qui demande des comptes à rendre. Il l'imagine en colère. Il l'imagine engueuler des sous-fifres.

Ses doigts se posent sur les touches. Il écrit la première réplique. Il la veut cinglante. Il l'entend dévastatrice, annonciatrice de châtiment, promesse de vengeance.

-Pourquoi ça ne fonctionne pas?

Ses doigts restent collés un moment. Remarquons. Ses traits changent à nouveau. Il hésite. Puis, plus lentement, il rédige la deuxième ligne.

S'arrête.

Se croises les bras.

Glissons à l'intérieur, si vous le voulez bien. C'est le bon moment. Traversons ses chairs grisâtres et tâchons de mettre en ordre toutes ces impulsions de neurotransmetteurs...
... ce sera bien trop long. Je ne trouve pas le ton. C'est un tantinet ridicule. J'ai envie d'en faire un truc drôle. Mais l'idée est amère. Où trancher? Je pourrai pas faire ce genre de transition en mille mots. J'ai besoin d'autres personnages. Pas assez d'espace. J'ignore quelle direction prendre, dans quel univers figer l'histoire, ce qu'ils ont à se dire...
Ouf, évacuons ce crâne. Nous avons été témoins de ce que nous devions entendre. Les pensées qui suivent, de toute façon, dérivent autour du même sujet. Et le reste est résolument trop intime. Croyez-moi, j'ai regardé avant de nous amener.

Voilà notre auteur qui ferme sa fenêtre de traitement de texte. Seulement, quand on lui demande s'il souhaite sauvegarder son document, Patrice clique sur oui. On ne sait jamais, déchiffrons-nous à travers son haussement d'épaule.

Les deux lignes de texte rescapées se réfugient donc dans les entrailles de sa machine sous le nom évocateur de...
Pourquoi ça ne fonctionne pas?
***

Suite et fin un de ces jours, si intérêt il y a.

8 commentaires:

  1. Ha ha, intérêt il y a de ce côté de la frontière.

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  2. lol! Moi qui pensait que je les faisais trop longs mes billets explicatifs! ;)

    Mais bon, contente de savoir que je suis pas toute seule à avoir des documents qui contiennent une phrase ou deux! :p

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  3. Intérêt puissance 100 !! :D

    Surtout que tu nous racontes à l'aide d'un texte soigné. Je m'incline devant le travail consenti (marque supplémentaire de ta valeur, voudrais-je souligner) ;)

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  4. @Richard
    Je note :)

    @Gen
    Haha! J'avais commencé de façon plus traditionnelle, mais ça m'ennuyais. Ai décidé de me payer un trip ;)

    @Karuna
    Merci :)
    Comme j'ai dit, c'est surtout pour m'amuser.

    J'ignore si j'arriverai à raconter le reste de la création du texte de cette manière...

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  5. Original, ce billet! Il m'a fait sourire parce que c'est un peu de cette façon que certaines de mes histoires arrivent: une phrase, une ambiance,une émotion...
    J'ai également aimé ta nouvelle avec sa fin à la fois frappante et surette ;)

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  6. @Isabelle
    Un étincelle qu'on arrive difficilement à expliquer parfois :)

    Merci pour ton commentaire sur ma nouvelle. C'est fort apprécié!

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  7. Intérêt aussi de ce côté. J'ai beaucoup aimé ta nouvelle, le ton, les échanges, la fin inattendue. Et que dire de ces trouvailles d'ingrédients tout-à-fait originaux?

    Allez, j'attends la suite!

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  8. @Hélène
    Merci Hélène :)
    J'avoue d'emblée ne pas être à l'aise avec le format court. Ce n'est pas un réflexe chez moi. Je suis donc plutôt surpris de l'accueil que vous réservez presque unanimement à cette nouvelle.

    C'est plaisant... et dangereux ;)

    Les deux nouvelles que j'ai publiées récemment ont été rédigées en un jet. Pas trop difficile comme démarche. Un jet, deux trois heures d'écriture, publication éclair et réponses instantanées des lecteurs.

    En comparaison, passer des mois sur mes manuscrits... ;)

    Priez pour que j'aie le courage de résister à cette tentation malsaine!

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