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Photo par Luc Tremblay |
L'Auteur s'essuie le front. Il fait nuit, mais les étoiles sont invisibles. Probablement à cause des lumières de la cité et des projecteurs braqués sur les grandes tour argentées. Pat s'arrache le cou à essayer de distinguer le sommet de l'une d'elle, puis abandonne.
Il observe un moment les véhicules qui passent en sifflant sur les bandes magnétiques.
- Qu'est-ce que tu fous ici?
Quand Pat se retourne, Annika le dévisage, les bras croisés sur sa poitrine.
- Bel accueil...
- Désolée. Tu aurais préféré une parade, des fleurs et une banderole?
Elle est toujours nerveuse quand je viens la visiter, pense l'Auteur.
- T'as qu'à réécrire la scène différemment, si mon accueil ne te plaît pas. Tu ne te gênes pas, d'habitude.
- Oui oui, c'est bon, ça va! Je ne suis pas venu ici pour m'engueuler avec toi.
Annika grimace, mais l'éclat dans ses yeux change.
- On descend? Je n'aime pas cet endroit...
- Bien sûr.
Sans l'attendre, la Tharisienne fait volte-face et marche en direction de la rampe d'accès qui s'enfonce sous l'épaisse toile rouge tendue au-dessus des quartiers souterrains de l'arrogante capitale. Pat la suit aussitôt. Même s'il a imaginé la cité, il a un peu peur de s'y égarer s'il perd de vue sa Tharisienne préférée.
- Ouh, c'est plus humide ici!
- Ce n'est rien. Tu n'as pas encore mis les pieds dans les
luxueux appartements dans lesquels tu m'as jetée pour ce tome-ci.
- Je croyais que ça te plaisait, pourtant! Tu sais, te sentir à la frange de la société, à part de la masse.
- Nah, la masse, je suis en plein dedans. Pour ne pas dire en plein dans la me...
- Et je ne t'y ai pas jetée toute seule, non plus! la coupe l'Auteur. Je t'ai envoyé Chernova.
Annika s'arrête en bas des marches et se retourne.
Ouah... pense Pat.
Drette là, si elle l'aurait pu, elle m'aurait assassiné.
- J'ai le droit de dévoiler des spoilers? demande-t-elle d'une voix candide.
- Euh... non. Vaut mieux éviter.
- Alors ferme-la avec Chernova, okay?
Pat déglutit et hoche la tête, docile. D'autres Tharisiens viennent en sens inverse.
- S'ils te sautent dessus et te tabassent parce que tu es Humain, ne compte pas sur moi pour te défendre, l'avertit Annika.
- C'est gentil, mais ils ne me verront même pas.
- Ah?
- Ouais, parce que... parce que...
L'Auteur se gratte le menton, tout à coup embarrassé. Les intrus se rapprochent et l'un d'eux, justement, le toise avec un regard interrogateur.
- Parce qu'ils sont pressés! s'exclame Pat. Ils doivent se rendre dans les tunnels pour l'exercice d'évacuation de la simulation de bombardement!
Les Tharisiens, qui bavardaient tranquillement il y a une seconde à peine, paraissent maintenant agités et se dépêchent dépasser l'Humain sans lui accorder la moindre attention.
- Tu vois?
- Ne t'avise pas de faire ça avec moi...
- Mais c'est ce que je fais tout le temps, quand je t'écris...
Annika fait un pas dans sa direction et se plante juste devant le nez de Pat. Elle s'approche encore. À cette distance, ses yeux bleus, véritables phares au milieu de son visage peint en noir, lui percent l'âme.
- Ne. T'avise. pas.
Elle recule en clignant lentement des yeux.
- Je t'ai fait mettre 20 000 mots à la poubelle pour ce tome-ci. J'ai refusé tes deux premières ébauches. Ne me force pas à recommencer pour le prochain tome.
Comme Pat ne répond pas, elle insiste. Sa voix est un souffle glacial sous l'immense toile rouge qui pèse au-dessus de leurs têtes.
- Compris?
Gloups...