samedi 26 janvier 2013

La mouette

Le vent souffle à peine depuis des semaines déjà.

Pas évident de naviguer, dans ces temps-là. J'ai le souvenir de traversée à la vitesse de l'éclair, toutes voiles gonflées.

C'est pas grave... À grand coups de clavier, jour après jour, ça finit par prendre forme quand même. J'avance.

Ma carte est incomplète, mais je comprends mieux où je m'en vais.

Les éléments s'imbriquent, grossièrement. Puis les détails laissés derrière remontent à la surface... Je délaisse les gribouillis de monstres marins dans les marges de ma carte... Quelque chose à l'horizon attire mon attention.

«Attends un peu... Et si...?»

«Et si...», ce sont les mouettes qui alertent les matelots de Colomb, en mer depuis des semaines, affamés, rongés par le scorbut.

Une mouette... Ça flotte pas, une mouette... faut que ça pose son arrière-train quelque part, sur une poubelle de McDo ou quelque chose...

Ok, y a pas de vent? Pas grave, on sort les rames. Go... Suivez cette mouette!

Elle danse dans le ciel. J'observe ses mouvements. Floup floup. Ses ailes battent, se tendent, rebattent.

Allez! Ramez, bon sang! Comme dans Ben-Hur, si y faut. Tiens, je vous donne le rythme. Suivez le bruit des touches. Tacatac, tacatac, tac tac! Ne laissez pas cet oiseau s'enfuir... Tacatac, tacatac, tac tac!

Elle est toute proche. Je discerne ses plumes mouchetées. J'y vois des mots. Le secret du manuscrit à achever, gravé dans son plumage. L'oiseau tourbillonne dans les airs, avec son regard dément.

Je dois avoir le même.

Les mots s'accumulent. La carte se noircit. Ma caravelle avale la distance, remorquée dans le sillage de la mouette. Enfin, je sais dans quelle direction placer les voiles. Elles se gonflent, se gorgent de phrases, d'idées. La vapeur me sort du nez. Pour peu, je me brancherais sur une turbine pour propulser mon navire (mais ce serait anachronique comparé au reste de la métaphore...).

Le nez rivé sur les plumes, je n'entends même pas la vigie, perchée en haut du mât, sur mon crâne, s’époumoner.

«Terre! Terre!»

Pourquoi tu me parles de la terre? Moi je veux aller bien au-delà! Imbécile de matelot... Suivez cette mouette, j'ai dit!

La caravelle heurte quelque chose. La plage, j'imagine, je ne regarde pas. L'embarcation glisse sur la sable, ralentit, s'embourbe, s'arrête. L'oiseau piaille («Crétin! Crétin!»), virevolte et poursuit son chemin, lancé sur une trajectoire qui m'échappe.

Ouf... Je pose le regard autour de moi. Les marins exultent. Leur joie me gagne peu à peu. Je... ah... oui... dans la foulée, j'ai terminé A5.

Mais des mots m'ont échappé. Ils volent, traînés par la mouette.

Les marins posent pied à terre, se lancent à l'assaut des fruits tropicaux. Drôle de festin.

Moi, déjà, je cartographie l'endroit, je fais l'inventaire des ressources de ce nouveau continent...

Mais mon regard porte vers les nuages... vers la mouette qui valse entre deux coups de vent, emportant ses secrets avec elle...

Et si je me gossais un avion en bambou... ?

***


Les pages que j'écrivais dans ma tête depuis un an ont trouvé le chemin jusqu'à l'écran, finalement.

Un grand ouf.

Un grand Yes, même.

Mais je n'ai pas fini...


22 commentaires:

  1. Il est certain que tu ne peux pas être trop longtemps en période de repos ! Avec tout ce qui se trame dans ta matière grise, si tu laisse le tout cogiter trop longtemps, il va y avoir comme une explosion quelque part sous la calotte crânienne!

    Que d'imagination ! Incroyable imagination!

    Continuez moussaillon, tous à tribord et larguez les amarres! Le vent du large vous appelle :)

    (Et l'imagination permet aussi de mettre un moteur à ton bateau... lâche les rames, que diable ! Tacatac, tacatac, tac tac!! )

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  2. Hahaha! Ton commentaire me fait rire, cette nuit!

    C'est vrai que Tacatac, tacatac, tac tac, ça peut facilement passer pour le bruit d'un moteur qui en arrache un peu ;)

    Bonne idée. Et tu as tout vrai, en fait. Y a pas de limites à l'imagination...

    Bon ben... Go! :)

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  3. Wow! Quel beau billet!

    Tu sais, la mouette va revenir te voir. Lève le bras, comme si tu tenais quelque chose et elle sera attirée. :)

    Ah, et si tu vois au loin un tout petit bateau bleu qui avance avec incertitude sur les flots du doute, c'est le mien!

    En avant toute! :)

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  4. Profite quand même de la joie du sprint final avant de recommencer à courir, hein? Euh... à voguer ;)

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  5. "Et si je me gossais un avion en bambou... ?" LOL, génial! Toujours à regarder plus loin, plus haut, c'est la preuve que tu es fait pour ce métier je crois bien. Et après l'avion, la fusée? (impossible que tu ne te retrouves pas dans l'espace à mon moment donnée). Félicitations pour avoir mené à terme tous ces projets, même si tu es porté par ton imaginaire, tes pieds restent bien ancrés dans la réalité et dans le travail acharné, et tu mérites tous les honneurs pour ce que tu as réussi à accomplir jusqu'ici. Et ce n'est pas fini!

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  6. Des mouettes dans un processus de création.. sa me rappelle quand j'inventais des chansons au mouette quand j'étais jeune et aussi ma mouette prénommé BigMac que j'avais adopté au secondaire (ummmm j'ai un drôle de cerveau)

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    1. Gabz, justement, j'ai pensé à BigMac en lisant! Haha! :)

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  7. Oh là, là. Quel billet ! Du grand Cazeault, celui qui me jette par terre.
    As-tu pensé ? Six naissances (j'inclus Cédrick) en si peu de temps...
    T'es fort. Bravo. ;)

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  8. @Stephy
    Où ça un petit bateau? Moi je vois une intrépide frégate qui fend les eaux à toute allure, qui menace de me déborder par tribord si je fouette pas un peu le moral de mes vieux marins fainéants ;)

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  9. @idmuse
    Trop tard ;P

    (bah, quand même, ça m'a pris deux jours avant d'ouvrir mes fichiers d'A4... c'est bien en masse comme vacance ;) )

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  10. @Hélène
    Hahaha! La fusée comme évolution naturelle de cette histoire? Oui, j'imagine. Lancée dans les profondeurs sidérales, à la recherche de la mouette spatiale ;)

    Merci beaucoup, Hélène. Oui, je travaille fort... mais je m'amuse beaucoup!

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  11. @Gaby
    Ah, tu vois? Notre imagination est reliée :)
    BigMac la mouette? Je l'imagine rondelette et sympathique, ton volatile apprivoisé!

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  12. @Sylvie
    Du grand Cazeault? Lololol... (La recette des billets qui plaisent à Sylvie? Les rédiger vers minuit! Plus de folie, moins de censure!)

    Idéalement, j'aimerais accoucher encore au moins deux fois cette année. Je sais je sais... c'est rough sur le corps, mais j'aime les familles nombreuses :)

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  13. C'est tout ce que ça te prenait pour terminer ?
    Bravo à toi et merci aux mouettes !
    (héhé, tu ne veux pas m'en prêter une ou deux ?)

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  14. Félicitation pour ce cinquième tome!! Quelle imagination!! ;)

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  15. @Julie-Anne
    Hahaha... Eh oui, juste ça ;)
    Je voudrais bien t'en prêter une... mais il faut vraiment que tu trouves ta propre mouette. J'peux rien y faire. (ne me regardez pas comme ça! attendez de rencontrer vos mouettes, vous verrez!)

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  16. @Selena
    Merci Selena :)
    Je m'amuse beaucoup...

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  17. Félicitations, cher Patrice. Le tome 5 écrit !! Wow ! Bravo ! Ne lâche pas et garde ton feu sacré pour l'écriture : c'est inspirant ! J'aime beaucoup ta métaphore de la mouette. J'aime quand les autre auteurs décrive leurs visions de leur processus créatif. MERCI et bonnes découvertes, cher auteur !! :-)

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  18. Tu es arrivé à bon port avant moi!

    Félicitations pour ton cinquième tome! Je suis certaine qu'il sera excellent!

    Je me doute que, même si tu as enfin atteint la terre, tu ne tarderas pas à reprendre le large. J'espère que tu n'oublieras toutefois pas de bien profiter du paysage, des flots ondulant sous la coque, des nuages portés par le vent au-dessus de ta tête... Même si je sais parfaitement que l'horizon est des plus attrayants...!

    Encore bravo!

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  19. @Annie
    Merci :) Cette fichue mouette s'est fait attendre...

    Mais en même temps, elle m'a mené vers un continent que j'aurais sans doute loupé si j'avais gardé le même cap!

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  20. @Aude
    (J'ADORE ton commentaire!)

    Ne t'en fais pas, je ne repartirai pas immédiatement. Mon vieux rafiot a besoin de réparation avant de reprendre la mer.

    Tiens, en attendant... j'ai envie de lire le journal de bord d'un autre capitaine. Celui-ci m'intrigue... Polux, tome 2? Oui, d'accord, c'est ma prochaine lecture :)

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  21. Une solution pour tous les marins à voile :
    Embarquez avec vous un gros ventilateur et en cas le panne de vent, soufflez avec le ventilateur dans les voiles. voilà simple et efficacité garantie...

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