lundi 27 juin 2011

Je sais, mais

Ils me parlent d'un gars que les ambulanciers sont allés chercher.
Que l'homme était tellement gros que la civière ne passait pas par la porte. Qu'ils ont dû démantibuler une fenêtre du salon pour le sortir. Que l'un des secouristes s'est fait mal dans le dos. Qu'à l'hôpital, ils s'inquiétaient de ne pouvoir le transporter adéquatement.

Et moi j'écoute le récit, terrifié devant mon cornet de crème glacé. Chaque détail me vrillant le coeur. Conversation surréaliste sur la terrasse d'une petite cantine de quartier.

Je sais que c'est leur métier. Je sais qu'il leur faut développer une cuirasse, une puissante armure contre ces histoires sordides

Mais, alors qu'ils me racontent des trucs techniques, des détails comme le poids que peut soutenir une civière d'ambulance, du nombre d'infirmiers qu'il a fallu pour transférer le patient, moi, je ne peux m'empêcher de m'imaginer ce pauvre homme. De penser sa vie. De deviner ses douleurs et d'espérer ses joies.

Je l'imagine surprendre les regards alors qu'il traverse les couloirs d'hôpital, débordant de chaque côté de sa civière poussée par deux-trois infirmiers costauds. Je l'imagine fermer les yeux et vouloir mourir.

Je me prends à lui souhaiter beaucoup de bonheur. Je lui espère des moments joyeux entre les inévitables périodes de détresse. Je lui invente un petit enfant sur chaque cuisse. Des petits enfants qui ne voient pas le ventre. Ou qui l'aperçoivent comme un immense terrain de jeu.

Je connais mes amis. Je leur connais une grande sensibilité et un coeur gros comme ça. Mais je suis heureux de ne pas être à leur place. Je tougherais pas une journée dans une salle d'urgence...

-Imagine! Une chance que le gars était déjà mort quand les ambulanciers sont arrivés sur place. T'aurais-tu vu ça si en plus il fallait qu'ils se dépêchent pour le sortir de là?
-... Ouin. Une chance qu'il était mort...

5 commentaires:

  1. Tout le monde n'a pas les mêmes images en tête, hein ?
    En tout cas, je trouve que les tiennes sont belles.

    "Je lui invente un petit enfant sur chaque cuisse. Des petits enfants qui ne voient pas le ventre. Ou qui l'aperçoivent comme un immense terrain de jeu."

    Magnifique.

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  2. Belle considération, Pat, pour ce pauvre homme... :(

    Oui, les gens qui travaillent dans les milieux d'urgence font preuve d'un détachement qui peut parfois nous brusquer. Je travaille avec des pompiers et parfois, je les trouve un peu insensibles, quand ils blaguent entre eux et se racontent des interventions. Je suppose que ce détachement est nécessaire pour survivre dans ce milieu.

    Par contre, j'ai parfois accès à leurs sentiments refoulés derrière une façade blasée. Quand ça touche un enfant, par exemple. Dans ces moments là, je comprends qu'ils font surtout tout leur possible pour survivre et que leurs blagues, leurs récits en apparence détachés sur des événements tragiques sont surtout là pour les aider à évacuer des souvenirs, des tensions accumulées. Une façon de se soutenir entre eux, mais en dédramatisant la situation.

    Nous, qui ne sommes pas dans le milieu, nous prenons en pitié... eux, ils doivent trouver d'autres moyens s'ils ne veulent pas être submergés...

    Pauvre monsieur quand même, quelle vie triste il a dû avoir... dommage qu'elle se soit terminée ainsi...

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  3. Wow Isa!
    On peut difficilement être plus clair.

    Ce genre d'anecdotes me brusque, mais il faut comprendre que c'est pour eux un mécanisme de défense. Dédramatiser ces situations les aide à ne pas sombrer avec elles.

    Pas mal comme analyse :)

    Merci de ton passage!

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  4. Triste histoire en effet... Un pompier Parisien me racontait un jour ce que sa compagnie devait ramasser dans le métro quand un suicidé réussissait son coup...

    C'est clair qu'il faut déveloper une certaine distance avec tout ça, c'est pas donné à tout le monde.

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