21h49: J'ai demandé à un ami de m'héberger pour le week-end pendant le Salon du Livre de Québec. Sauf que je crois qu'on s'est mal compris quand il m'a dit «Je me suis construit une petite maison
dans le bout de Québec.
Me voilà perdu, très chers lecteurs, au fin fond des bois, au bout d'une route cahoteuse, dans une maison sombre (que j'ai trouvée miraculeusement, en essayant la clé qu'il m'avait confiée, en désespoir de cause, dans les maisons qui paraissaient le plus abandonnée).
Le dit ami est absent. Parti en exercice militaire dans un endroit tenu secret.
Combien de temps avant que les voisins n'appellent la police?
***
22h02: Une note m'attend sur le comptoir. Après une pause-pipi plus que nécessaire (bloqué quelques kilomètres avant le Pont Laporte, d'après la radio, un type voulait en finir, une guitare à la main et un drapeau du Québec dans l'autre. drôle de journée), je lis le message qui m'est adressé.
Ça parle de valves et de breakers.
Au sous-sol...
Je jette un oeil, pour le plaisir. L'interrupteur fonctionne. L'ampoule éclaire l'endroit, ne jette aucune ombre mystérieuse contre les murs. Le tout est encombré, mais c'est un bordel rassurant. Des outils, des meubles entassés, un peu de poussière. Le portrait suggère des travaux récents. Une trace de vie, d'activité.
Mais, dans le silence, je perçois un bruit. Et ça vient du seul coin sombre, évidemment...
***
22h16: C'est son thermo-pompe-truc-chose. Rien de bien terrifiant. Sauf que ça émet le bruit de quelqu'un qui respire dans l'ombre. Et maintenant que je l'ai entendu, je le perçois même depuis le bureau, cette pièce reculée et mal éclairée depuis laquelle je vous écris... Misère!
Je visite le reste de la maison. Toutes les pièces
paraissent normales. Je n'ai pas ouvert les placards, quand même (mais maintenant que je l'écris, je me promets de vérifier avant de me mettre au lit, tout à l'heure.
juste au cas où).
Dehors, les étoiles brillent de mille mystères. Elles sont beaucoup plus perçantes que chez moi, plus vives, plus lumineuses. Le ciel, grand, ouvert, m'invite. Sur le balcon, tout à coup, le vent me fait frissonner. Je baisse les yeux et me heurte à la flore... grise et muette dans l'obscurité.
Mon imagination décolle...
***
22h28: Quelles créatures peuplent cette forêt? Quelles bêtes rôdent à proximité, sous le couvert de la noirceur, camouflées, tapies entre deux grands sapins noirs, invisibles à mes yeux de citadin effarouché...?
Avant de sursauter au moindre craquement, je rentre à l'intérieur. Je me sers un grand verre d'eau que j'engloutis en parcourant les titres des bouquins qui ornent la bibliothèque de mon ami.
Tiens, Averia 1 et 2 sont présents! Bien rangés, sur la tablette la plus accessible. Hum.. je vais les lui dédicacer, me dis-je, en son absence. Ça lui fera une belle surprise.
Au lieu de me lancer à la recherche de stylos, je marche jusqu'à mon sac, où je sais que j'ai planqué le nécessaire de survie pour le Salon du Livre. Dans l'entrée, je remarque une lumière par la fenêtre. Des phares de voiture sont allumés dans la cours...
***
22h47: Quel crétin... ce sont les miens. Dans l'angoisse (rappelez-vous, j'arrive dans l'obscurité, au bout d'un route tortueuse, je dois trouver la maison d'un ami, je ne distingue pas le numéro sur les portes... alors je descends de la voiture et je
joue avec la serrure d'une demeure qui n'est peut-être pas la sienne...), j'ai oublié de fermer mes phares...
Je n'ai pas vraiment le choix.. si je veux que ma voiture démarre demain matin...
J'enfile mes souliers et je vous réécris une fois revenu à l'intérieur...
***
23h01: Aie.. C'est con, mais j'ai refait le tour de la maison.
Lentement. Et j'ai ouvert les placards, cette fois.
Dehors, j'entendais le
bip bip de ma voiture. Même ma portière était restée entrouverte. Le vent la poussait un peu. J'allai jusqu'à ma vieille mazda, me penchai à l'intérieur et je tournai le machin-chouette pour éteindre mes phares. Comme je refermais ma portière, je perçus le bruit de pneus qui mordaient la route de terre. Une autre voiture s'engageait sur cette rue coupée du monde et de la civilisation.
Je repérai rapidement ses phares. S'agissait-il d'un voisin? De la police? D'un autre voyageur égaré, comme moi? Ses lumières m'aveuglèrent lorsque le véhicule passa près de moi et je détournai rapidement les yeux. Mon regard croisa les grandes fenêtres de la maison de mon ami. Celles-ci s'éclairèrent d'ombres et de reflets au passage de la voiture.
Et je
crus percevoir un mouvement, de l'autre côté des parois vitrées...
***
23h12: Je suis resté un moment à l'extérieur, figé aux côtés de ma voiture...
Il ne s'agissait que de mon reflet. Il
fallait que ce soit mon reflet.
Je me souvenais avoir lu quelque chose de similaire, dans un bouquin d'Haruki Murakami,
Les Amants du Sputnik. L'un des personnages, une jeune japonaise, était en voyage et logeait, toute seule, dans un hôtel. Morte d'ennui, elle décide de visiter la fête foraine qui visitait la région. Elle s'y balade, observe les enfants s'amuser... Prise de fatigue, elle se paie une entrée de manège. Elle n'aime pas particulièrement la Grande Roue, mais éprouve le sentiment que cette attraction-ci la reposera. Seule sur son banc, elle entame son ascension puis sa descente. Le mouvement se répète. Et se répète... et se répète...
La jeune femme plonge dans le sommeil. Quand elle en émerge, le parc est désert. Elle a beau s’époumoner, personne ne l'entend, personne ne vient l'extraire du manège où elle est prisonnière.
Prise au piège au sommet de la Grande Roue, elle réalise qu'elle aperçoit son hôtel depuis son perchoir. Résignée, dans l'espoir de se distraire, elle empoigne ses jumelles et observe sa chambre. Alors qu'elle allait jeter le regard ailleurs... la porte s'ouvre. Un homme pénètre dans sa chambre et y amène une femme. Dans
sa chambre. Il la déshabille, la touche, la palpe... La Japonaise réalise que c'est elle qu'elle observe avec ses lunettes... La jeune femme dont on abuse porte ses traits... Depuis la Grande Roue, elle est forcée de voir un homme lui faire des choses, dans sa chambre d'hôtel...
Cette scène m'avait foutu la trouille, à l'époque. Et j'espère
sincèrement ne pas tomber sur mon double, ici, à l'autre bout du monde...
***
23h43: J'ai allumé la télé. Je crois que mes lecteurs m'ont abandonné. Le compteur de pages ne tourne plus.
Le silence m'angoisse tout autant que les craquements.
J'aimerais vous offrir une réelle conclusion à cette aventure, amis lecteurs, mais j'ignore encore si cette nuit d'étrangetés et de bizarreries tire à sa fin ou non. Je dois fermer l'écran, rendre l'antenne. Le sommeil me boude toujours, mais il est impératif que je vole quelques heures au marchand de sable. Une longue journée m'attends demain. Une journée qui, j'espère, me fera oublier le trouble qui m'a saisit dès que j'ai mis le pied dans ce drôle d'endroit...
Un endroit où les étoiles scintillent de façon presque surnaturelle, comme si elles essayaient de communiquer avec moi, comme pour m'avertir d'un danger.
Un endroit où la forêt se dresse, tel un mur, pour me tenir à l'écart des secrets qu'elle recèle. Forêt depuis laquelle percent quelques lucarnes lointaines, des yeux qui se moquent de mon sort, témoins muets des ombres qui dansent autour de moi.
Un endroit où, recroquevillé sur mon clavier, je vous adresse ces mots, lettre sinistre, traces de mon passage dans ce lieu qui, en cette drôle de nuit, s'avère inquiétante de mystères...
Minuit sonne à l'instant où j'écris ces quelques dernières lignes.
Je vous souhaite, à vous, une bonne nuit...
Et à moi, un sommeil vide...