dimanche 31 mai 2015

Je cours (mal)

J'ai recommencé à courir.

Le fond de l'air est chaud malgré la brise. Le ciel est «bleu préféré», le bleu qu'a le ciel juste avant d'être transpercé d'étoiles.

Mon gars est couché et ma blonde me chantonne gentiment l'air de Rocky alors que je passe sous la fenêtre, avec mes vieilles godasses, mes shorts délavés et mon t-shirt rouge et ma casquette du canadien vissé sur le crâne.

Je goûte le son de mes pas sur le bitume. J'allonge la foulée. Je change l'angle d'attaque de mes pieds et je mesure la différence que ça fait sur le choc que je ressens dans mes tibias.

Ah, oui, c'est comme ça que je courais.

Il y a trois ans.

Trois ans.

À ne pas courir.

Tiens, il me semble que je ne manquais pas de souffle ici, avant de traverser la route, jadis. Hum, c'est nouveau cette douleur au genou? Ah? Et cette impression de déboîtement dans ma hanche, c'est normal, docteur?

Je cours et j'ai cette tension dans la poitrine. Je cours et j'ai cette douleur aux côtes. Je cours et je me sens si lourd.

Et soudain je me vois courir.

Je ne cours plus avec l'autorité de la panthère qui donne la chasse à sa proie, comme autrefois. Je n'ai plus le souffle du loup ni même la démarche fine du renard.

Je siffle, je crache, je ballotte les mains, je m'essuie le front, je trébuche.

J'ai plutôt la grâce d'un pug un peu balloné qui déboule les escaliers.

J'ai même pas fait le tiers du trajet «de paresseux» que j'empruntais les jours où ça me tentait moins à l'époque où je filais sur la route comme le vent.

Mes jambes me supplient de ralentir. Mes genoux menacent de céder. Mon ventre m'ordonne de tout arrêter.

«Viens t'écraser sur le divan. Repose-toi. Viens me remplir.»

Je passe proche de toute planter là. De garocher mes souliers dans le fossé. De sacrer mon camp.

J'arrive pu à courir et j'ai rien vu venir. J'suis pas au courant. J'ai pas remarqué. J'suis pu en forme, so what? Je le savais. C'est pas une surprise. C'est pas une raison pour se fâcher. Je vais rentrer. Personne m'a vu. Personne le saura. Je recommencerai à courir quand j'aurai plus d'énergie/j'aurai perdu du poids/quand j'aurai plus de temps.

Mais bon, je continue.

C'est pas une histoire de courage ou de détermination. Je ne trouve pas de second souffle et je cours toujours de façon aussi misérable. J'ai toujours l'air d'un poisson obèse qui rebondit dans le fond d'une chaloupe.

Je continue de courir parce que... parce que je sais que j'aime courir. Et je veux pas perdre ça.

C'est moi, ça. Je cours jusqu'à me tordre les poumons en quatre puis je rentre en marchant, et je regarde ma teinte préférée de bleu se faire trouer d'étoiles.

Je cours jusqu'à ce que mes chevilles flanchent et je reviens en marchant pour vous raconter mes histoires de loups qui me pistent, de bébés mouffettes que j'évite en passant dans un nid de ronces et de cabanes lugubres que je trouve sur mon chemin de campagne.

Je cours jusqu'à ce que les pieds m'explosent puis je rentre en marchant, tout gluant de sueur mais le cerveau fraîchement rincé, et je capte toutes les idées qui me traversent le crâne et qui se perdent habituellement dans la crasse de mes neurones.

Je veux pas perdre ça, alors je me botte le train. Je me dis come on. Au moins jusqu'au stop, au bout de mon trajet «de paresseux». Je peux au moins courir jusque là...

À force de me convaincre que mon coeur n'est pas en train d'éclater dans ma poitrine, je finis par arriver. Je franchis mon ruban imaginaire, dressé à l'intersection de deux longues routes vides qui me dégagent la vue.

Et je suis accueilli par un concert de grenouilles. Une véritable fanfare qui couvre jusqu'à ma respiration de baleine asthmatique. Je les écoute, les mains sur les genoux. On dirait qu'elles m'applaudissent. Je ne les ai jamais entendues aussi bruyantes.

Elles chantent ici. Juste là, pour marquer la tombée de la nuit sur leur royaume. Des centaines de grenouilles invisibles dans les roseaux, cachées dans les champs, que personne n'entend jamais, enterrées par le bruit des voitures qui traversent la route à toute vitesse.

Et je me dis, bon, ok. Ça valait la peine, la sueur et la douleur.

J'ai entendu ça.

5 commentaires:

  1. Du Cazeault comme j'aime lire. Simple, vrai, efficace. Merci.

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  2. Hep, la vie de parents, c'est dur sur la forme physique. J'ai déjà repris l'entraînement, mais je ne peux pas encore courir (une poitrine de maman qui allaite, ça défie toutes les brassières de sport), alors je marche... pas assez vite à mon goût, ni assez loin, mais bon. Comme tu dis : ça rince le cerveau et ça fait du bien! :) Lâche pas!

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  3. Ouais! Pour une maman, ce doit être 10 fois pire! Au moins, toi tu as continué à rester active. Moi, je CROYAIS avoir continué à bouger (on marche souvent dans un espèce de grand parc, avec Cédrick, un bon 2 kilomètres), mais je me rends compte que j'ai vraiment tout perdu. Faut recommencer et je pars de loin!

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  4. Mettons que le corps de la maman subit pas mal d'épreuves, ouais. C'est pour ça que j'ai recommencé à bouger dès que j'ai pu. L'avantage de commencer tôt, c'est que tant que bébé est dans la poussette, on peut marcher très vite! (et pousser la poussette, c'est un bon exercice, surtout quand on prend un modèle heavy duty comme la mienne! ;)

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