vendredi 14 janvier 2011

Quatre cigarettes plus tard

C'est le party de retour de mon ami. Il est revenu de son désert en un seul morceau. La musique est forte dans le bar, pas moyen de lui dire deux mots sans cracher ses poumons.

Un autre ami, appelons-le le Voyageur, sort fumer.
-Une mauvaise habitude que j'ai prise, m'explique-t-il.

On est dehors. Il fait pas trop chaud. Il me raconte un peu. Il me parle des emplois qu'il enchaîne coup sur coups, semaines après semaines. Il me parle de ce qu'il recherche. De ce qu'il aimerait accomplir.

Il me parle de fine cuisine. D'expérimentations. De saveurs. De jouer avec le goûter, avec les sens. Il veut découvrir et faire découvrir.

Il ne lui reste qu'à frapper à la bonne porte.

Il me parle et il se sent écouté. Je questionne, j'accentue, je nuance. Et il me déroule sa passion. La passion me passionne, vous me connaissez.

Quatre cigarettes plus tard, il me demande et toi ton livre?
-J'ai terminé le troisième et là je re-re-re-corrige le premier (nous étions fin octobre).

On en jase un peu. Aye aye aye, j'écoute mieux que je parle.
-Pourquoi écris-tu, Pat? qu'il me lance.
-Pour le cash.

C'est un réflexe chez moi. Quand la conversation tourne, je dis des niaiseries.

Mon copain rit, souffle un peu de fumée.
-Mais non, je sais que c'est pas vrai.

J'insiste, je déconne. Mais après m'avoir ouvert toutes grandes les portes de son univers, Voyageur ne compte pas me laisser m'esquiver ainsi.
-Qu'est-ce qui te pousse à écrire? Essais-tu de... de filtrer un message dans tes bouquins? De partager tes idées par tes personnages? De changer le monde avec tes romans?

Je fixe un peu le parc d'en face. Les voitures qui passent sur l'asphalte luisante.
-Euh.... non... pas vraiment.

Je réfléchis. Des gens sortent du bar et passent devant nous.

Voyageur attend, tire sur sa dernière cigarette. Il veut une réponse. Mais qu'est-ce qu'on répond à ça?
«Je peux pas faire autrement?» C'est le cas, mais c'est cheap comme réponse. Lui me décrit pendant trente minutes comment il rêve d'apprendre sous la tutelle d'un grand chef, de cuisiner quelque chose de nouveau, de vivre un défi quotidien, et moi je lui dis: «j'écris parce que je trippe». Mon copain, justement, veut les voir ces fameuses trippes. Il veut comprendre, les sentir.

Comme j'allais lui répondre, une autre bande s'extirpe difficilement du bar et nous séparent momentanément. Quelques gars et deux filles visiblement éméchés qui dévalent les marches devant moi, à moitié endormis à moitié sur le party.

Ils passent. Voyageur s'approche et je lui dis...

Au fait, vous lui auriez répondu quoi, vous?

5 commentaires:

  1. Pour la même raison que lui veut cuisiner des plats qui sortent de l'ordinaire : pour faire vivre une expérience (nous, à nos lecteurs, lui à ses dégustateurs).

    Et pour créer.

    Et pour s'évader.

    Parce que le quotidien est gris sans un peu d'art (qu'il soit culinaire ou littéraire)

    Et... y'a pas de réponse simple et unique je pense!

    RépondreSupprimer
  2. « Parce qu'écrire, c'est moi. Si je ne le faisais pas, eh bien... imaginez ce qui pourrait arriver. Non... en fait, je vais vous le dire: je mourrais étouffée !! »

    Ah ! Vous avez ri... Je l'ai entendu ! Vous avez tous les droits de me croire ou non. Mais l'important c'est ce que moi, je crois. ;)

    Voilà, ce que je lui répondrais.

    RépondreSupprimer
  3. "Écrire m'a sauvé la vie... au sens propre et au sens figuré. Bien sur j'ai jamais rien publié, mais écrire a donné un sens à ma vie, me permet de ventiler tout ce que mon petit cerveau peut créer comme situations (réelles et irréelles).

    Écrire, c'est aussi important pour moi que de respirer et de manger.

    Écrire, c'est un cadeau merveilleux que la vie m'a donnée et que j'utilise (maintenant) à bon escient.

    Écrire, c'est magnifique."

    RépondreSupprimer
  4. @Gen
    Il n'y a pas de réponses simples, en effet!
    Mais la tienne est intéressante.
    Vivre et faire vivre une expérience.

    J'aurais dû lui répondre ça!

    @Annie
    Je te crois. On est tous un peu comme ça, à des degrés différents. On y colle d'autres mots. Pour se réaliser, pour s'accomplir, pour créer, ...
    Écrire, c'est moi, donc. :)

    Dans mon cas, quand le manuscrit va, tout va!

    @Lucille
    Terry Pratchett disait... «Le problème, c'est que trop de gens veulent avoir écrit, plutôt qu'écrire.»

    Je crois que tu te situes dans la bonne catégorie :)

    J'aime beaucoup «écrire, c'est magnifique».

    RépondreSupprimer
  5. C'est une très bonne question, pourquoi j'écris ? Parce que j'ai des histoires à raconter, des vies à vivre à travers mes personnages, parce que j'aime la langue française, parce que j'adore la relation auteur-lecteur, parce que, parce que, parce que... trop de choses.
    Mais effectivement, écrire, c'est magnifique.

    RépondreSupprimer